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Runoko RASHIDI, présentation d’ouverture de la conférence – 28 janvier 2003

19 décembre 2009 Pas de commentaires

L’histoire n’est pas pour se délecter d’un merveilleux passé plus glorieux que celui des autres. Elle est pour réaliser la plénitude des Hommes et des nations.

Cette manifestation organisée par KEMIT et le COMM s’inscrit dans le souci de restituer un véritable sens à l’histoire des Peuples de l’humanité, notamment celle des Peuples Noirs.

Il sied par conséquent de présenter ces deux organisations.

Le COMM est une institution de la communauté africaine en charge de la préparation et de la planification de la marche mémoire.

KEMIT est une organisation multinationale africaine dont les objectifs sont l’approfondissement de la personnalité historique et politique des Africains, la solidarité et l’unité, la promotion des cultures noires, le développement de la justice et de la paix dans le monde.

C’est parce que nous voulons nous comprendre, nous interroger, nous réparer, nous  aimer que ces manifestations-conférences organisées depuis l’année dernière sont une occasion de nous retrouver autour d’une thématique qui souvent est absente des discours savants ou occultée purement et simplement, alors qu’elle révèle une importance primordiale pour la renaissance d’une humanité éprouvée et en doute.

A la quête du véritable sens de l’histoire, nous voulons faire en sorte que nos personnalités historiques et politiques  n’accouchent plus de génocides dans les Grands Lacs, de la plus vieille guérilla du monde, celle du Soudan, de tensions civiles ivoiriennes, de Casamances, de Congos. Autrement dit, L’Afrique veut  la maîtrise de son destin non par la mendicité des élites, mais par une action construite et cohérente dans le temps, généreuse et solidaire. Voilà pourquoi, les Africains doivent comprendre leurs actes passés, les civilisations les plus anciennes qu’ils ont bâties, les trajectoires que ces civilisations ont empruntées dans l’histoire. Cela pose par conséquent la question de leur présence sur la planète, il y’ a des millénaires ou des siècles de cela.  Parce que l’attestation de la présence impose le recul de la falsification et des idéologies de domination érigées aux fins de contrôle des esprits et des mouvements, tant au plan individuel que collectif.

Encore une fois, le sens de l’histoire, c’est la cohérence du fait politique, économique et social. Amilcar Cabral l’a dit : « Toute théorie engendre une pratique et inversement, et même si des révolutions ont échoué, aucune n’a pu réussir sans théorie révolutionnaire » (cf. « Unité et lutte » de A. Cabral).

Avec la venue du Pr. RUNOKO RASHIDI en France en Janvier 2003, la preuve est dorénavant établie de la solide connexion existant entre les intellectuels noirs du monde : ceux du continent, ceux des Amériques, ceux des Iles Pacifiques, ceux des Antilles, ceux des Indes orientales etc…

Il nous faut donc révéler la persistance et la consistance depuis des siècles de ce lien. Il est donc indispensable d’écrire la cohérence d’une telle manifestation dans la droite ligne de retrouvailles généreuses et solidaires entre deux branches d’une même famille. C’est par conséquent le lieu et le temps de rappeler qu’une tradition séculaire de science et de savoirs multiples écume les humanités noires depuis les antiquités égypto-nubiennes. Si des figures historiques comme le vizir, prophète, ingénieur Imhotep, Manetho, le biographe des dynasties égyptiennes et des métaphysiciens comme Ptahotep, le pharaon Mentouhotep (11ème dynastie), le pharaon Amenhotep IV (le fameux Akhenaton, 18ème dynastie), le pharaon Shabaka (25ème dynastie) illustrèrent la maturation du fait intellectuel dans la vallée du Nil, il importe également de souligner que de grandes figures émergèrent dans l’Arabie post mohammédienne.

C’est ainsi qu’un saint africain du nom d’Al Jahiz (776 – 868 CE) écrivit un livre qui est un des plus occultes de l’histoire universelle des Hommes. Ce livre s’intitule : « THE BOOK OF THE GLORY OF THE BLACKS OVER THE WHITES ». S’ensuivit une faste érudition qui s’est développée durant l’épopée des dynasties noires abassides en Syrie et en Espagne comme en témoignent le fameux conte d’ Antar et la légende d’Aladin. Sur le continent même, Ahmed Baba fut recteur pendant 30 ans à la fameuse Université de Sankore à Tombuktu, Mahmoud Kati (16ème siècle),  l’auteur du célèbre Tarrikh el fettach, As Saadi (17ème siècle qui écrivit le tarrikh es Sudan (chronique des épopées médiévales de l’Afrique centrale), Al Umarriyah et tant d’autres.  A l’époque de la traite atlantique, des autobiographies écrites par des esclaves noirs jetèrent le désarroi parmi les esclavagistes et les colons européens. La plus ancienne autobiographie fut écrite par Umar Ibn Sayyid dans une plantation de la Caroline du Nord. Un livre de contes fut écrit par un autre esclave noir Abdul Rahaman. Cette riche tradition savante s’est maintenue jusqu’au XIXème siècle avec des pionniers tels que Henry Highland Garnet, Leo Africanus, Aleksandr Sergeyevich Pushkin, Alexandre Dumas, Martin Robison Delany, Edward Wilmot Blyden.

Pour faire court, venons-en à cette génération éclectique et foisonnante qui bouleversa le monde dans les années 48. Ce sont les John Henrik Clarke, John G. Jackson, Dr. Charles B. Copher, Yosef ben-Jochannan, Cheikh Anta Diop. Ils bousculèrent les idées reçues et firent reculer les thuriféraires du diktat intellectuel eurocentriste. Les historiographes s’attristèrent d’un pareil désordre dans l’hémicyle. Cheikh Anta Diop, un des intellectuels les plus prolifiques du millénaire passé, innova dans la recherche historiographique en faisant collaborer plusieurs disciplines scientifiques (Anthropologie, sociologie, physique nucléaire, méthodes de datations, archéologie, biologie des populations,  génétique moléculaire, linguistique appliquée et comparative). Cette méthodologie pluridisciplinaire elle seule pouvait revisiter, ajourner ou bannir définitivement des hypothèses tenues jusque là pour des vérités inviolables. Cette même méthodologie pouvait envisager que d’autres  hypothèses en se corroborant ouvrent des pistes sérieuses, éclairent d’un jour nouveau l’histoire scientifique de l’humanité. Parmi ces hypothèses, une qui a longtemps rendu perplexe les savants comme Cheikh Anta était qu’une fois connus la terre et les peuples à l’origine des premières civilisations humaines, comment s’étaient-elles diffusées dans le reste du monde, notamment dans la vallée de l’Indus, en Asie mineure, en Asie du  sud-est, dans le Proche et Moyen Orient, en Grèce continentale, dans les Amériques précolombiennes, dans les Iles du Pacifique etc.

D’autant plus que les fouilles menées a Mohenjo Daro (Vallée de l’Indus en 1974) soutenaient ces éventualités. Malgré les longues recherches menées pour étayer cette piste, Cheikh Anta Diop a rejoint l’Amenti (royaume égyptien des morts) en laissant a la postérité (Chancellor Williams, Théophile Obenga, Jean Marc Ela, Alain Anselin, Ama Mazama, Asa Hilliard III, Charles Finch , Runoko Rashidi ici présent etc.) une œuvre  colossale et le soin de la vérification scientifique du fait civilisationnel noir dans les aires de confluence : Chaldée, Sumer, Indus, Thaïlande, Japon, Chine, Australie, Cambodge etc.

Le Professeur Runoko Rashidi fait partie de cette continuité intellectuelle. Sa présence et sa lecture, au gré de ses pérégrinations scientifiques et de ses nombreux voyages, nous permettrons, aujourd’hui (26 janvier 2003) de jeter un regard nouveau sur les processus de génération des civilisations de l’humanité. Parce qu’un peuple et ses élites ne peuvent construire un avenir multinational cohérent qu’en rendant possible la reprise de l’initiative historique et politique. Parce que la dialectique entre passé et demain, puis la lecture critique de cette dialectique, tout en étant la pierre angulaire du développement des nations, cimente l’élévation de la conscience historique et politique d’un peuple.

Que vive donc éternellement  l’Afrique, mère des hommes et mère des civilisations.

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