L’exception culturelle
Les textes portent sur l’exception culturelle. Ce fameux concept proposé par la France pour défendre sa culture face à l’impérialisme culturel Anglo-Saxon et précisément Américain. La France voulait alors protéger sa langue face à l’emprunt de mots anglais ; imposer la diffusion d’un taux minimum de chansons française dans les médias… Mais l’enjeu était essentiellement dans l’audio visuel et le cinéma. Un marché énorme et de gros enjeux financiers. Des milliers de milliards de dollars, qu’engrangent les Etats –Unis à travers leurs films à succès, leurs feuilletons et des concepts de jeux télévisés qu’ils vendent au reste du monde. Ils occupent plus de 80% des recettes de salles de cinéma européen, et autant pour les programmes télé. La France voulant préserver les quelques 13% que couvrait sa propre production a invoqué l’Exception Culturelle, face aux Etats Unis qui lui reprochaient des manœuvres anti-libérales (protection d’une partie du marché), concurrence déloyale (subventions et aides diverses accordées à ses producteurs), entrave à la liberté d’expression (obligation de diffuser un quota d’œuvre française). Même certains pays de l’Union voyaient d’un mauvais œil ce nouvel orgueil français. Pour eux l’exception culturelle n’était rien d’autre qu’un nouveau déguisement prétentieux de la fameuse Exception française.
La France, grâce au porte-voix européen défend «son idée». Les Etats Unis derrière le GATT (devenu OMC en 95), défendent la libéralisation du marché de la culture. Assez dit ! Passons aux citations.
LA MENACE
« Contrairement à des commentaires politiques trop souvent énoncés, le GATT – et aujourd’hui le GATS, dans le cadre institutionnel commun de l’OMC – ne vise pas simplement, à « mettre du droit »dans les échanges internationaux pour en bannir la « loi de la jungle ». Le droit du GATT n’est pas neutre : il se fonde sur un projet politico-économique clairement libéral ou libre-échangiste, postulant la prévalence du marché sur toute autre valeur et considérant tout obstacle national, tarifaire et non tarifaire comme une pathologie à éradiquer. Le propre du GATT dans sa configuration de 1986, et du GATS depuis les accords de Marrakech de 1994, consiste dans l’accomplissement d’une libéralisation des échanges internationaux, consubstantiellement déréglementation à l’échelle des Etats membres.
C’est contre les menaces d’une telle libéralisation qu’a été forgé l’argument en défense de l’exception culturelle. »
LA RESISTANCE
Que dit François Mitterrand qui aux premières lignes de cette bataille :
« …je vais vous en citer un qui me tient à cœur : l’audiovisuel. L’Europe voit aujourd’hui déferler sur elle un véritable ras de marées d’images venues d’ailleurs. Nous importons déjà le tiers de nos programmes audiovisuels. Les experts prévoient pour un proche avenir une demande de 125000 heures de programmes par an pour l’Europe tandis que se profile avec le câble, le satellite, les nouveaux modes de réception, un nouvel âge d’audiovisuel.
Si les images, signes, sons, symboles qui imprègnent les loisirs, les rêves, les fêtes des Européens venaient en majorité de l’extérieur de l’Europe, c’est leur imaginaire, c’est le fond même de leur être qui serait pratiquement conquis, occupé. Ce serait un échec culturel dramatique, ce serait un échec politique pour l’Europe car elle ne pourrait plus ni témoigner ni auprès de ses citoyens, ni aux yeux du monde de son unité ou de son identité culturelle.
Enfin ce serait un échec grave car la production de biens culturels qui a engendré de véritables industries serait asphyxiée et avec elle un des pôles essentiels d’innovation, de créativité, de dynamisme. Ne pas laisser le champ libre aux productions américaines, demain japonaises, brésilienne, indienne pour ne pas perdre notre indépendance culturelle.
On ne peut plus faire l’impasse sur la culture : on ne doit pas le faire. C’est une nécessité de chacun des pays de l’Europe doit tenir le même langage… »
Extrait d’une allocution de Mitterrand, lors de l’inauguration du Salon International des Techniques et Energies du Futur (SITEF). Toulouse, le 29/09/87.
CHERCHEZ L’ERREUR
Evidemment la France n’a pas toujours défendu partout et de tout temps la diversité culturelle. Ce n’est pas forcément cette position ferme qui est défendue au sommet de la francophonie. Cheikh Anta Diop 33 ans avant cette déclaration (1957) :
« L’usage de l’aliénation culturelle comme arme de domination est vieux comme le monde ; chaque fois qu’un peuple en a conquis un autre, il l’a utilisée. Il est édifiant de souligner que ce sont les descendants des Gaulois contre qui César s’était servi de cette arme qui, aujourd’hui, l’emploi contre nous. »
Nations Nègres et Culture. Préface de 1954.
« La culture est la mémoire des peuples, la conscience collective et la continuité historique, le mode de penser et de vivre » Milan Kundera.
N’ayant pas retrouvé la citation et l’auteur de ce que je voulais mettre ici, je rappelle l’idée « en gros » : Le marché mondialisé de l’audiovisuel et du cinéma nous a fait entrer dans une ère inédite dans l’histoire de l’humanité. Il a dépossédé les peuples du droit millénaire que chacun avait de créer et de raconter aux siens les histoires, les légendes et les mythes propres qui façonnaient leur vision du monde et organisait leurs règles de vie
L’EXCEPTION ET LA DIVERSITE CULTURELLE AFRICAINE
Bien entendu Cheikh Anta Diop aborde largement la question au cœur de ses préoccupations. Les enjeux sont soulignés dès la préface de ses œuvres, il met en garde sur les dangers de l’oubli et de l’aliénation :
« …renoncer prématurément et d’une façon unilatérale, à sa culture nationale pour essayer d’adopter celle d’autrui et appeler cela une simplification des relations internationales et un sens du progrès, c’est se condamner au suicide. »- Nations Nègres et Culture. Préface de 1954.
« Ainsi l’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, tue d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. La négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde. De telle sorte qu’entre 1946 et 1954- où s’est élaboré notre projet de restitution de l’histoire africaine authentique, de réconciliation des civilisations africaines avec l’histoire. » Introduction de Cheikh Anta Diop. Civilisation ou Barbarie
DECLARATION UNIVERSELLE
Et pour terminer Depuis novembre 2001, l’UNESCO à travers sa déclaration universelle reconnaît dans son article 1er, que le droit à la diversité culturelle est fondamental pour une meilleure intégration des pays dans la mondialisation.
Article 8 de la déclaration « Face aux mutations économiques et technologiques actuelles qui ouvrent de vastes perspectives pour la création et l’innovation, une attention particulière doit être accordée à la diversité de l’offre créatrice, à la juste prise en compte du droit des auteurs et des artistes, ainsi qu’à la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommations comme les autres. »