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Les Réparations, kemit – 27 mars 2005

19 décembre 2009 Pas de commentaires

Fondements historiques et juridiques

Poser aujourd’hui la question des réparations c’est d’abord pour nous rendre hommage aux victimes pour s’accorder avec Birago DIOP que les « Morts ne sont pas morts » car ils sont dans les consciences des Vivants. C’est aussi remarquer une certaine évolution des esprits face aux grandes questions que traverse notre siècle.

La justesse de la cause pour les réparations est avant tout, une question de justice fondamentale. Elle est partie intégrante d’une lutte de longue haleine et d’une résistance séculaire que le Peuple noir a menées pour asseoir et sa dignité humaine et les bases de l’Unité et de la reconstruction de son pouvoir.

Les injustices et iniquités perpétrées contre ce Peuple que ce soit en Afrique du Sud par le régime de l’Apartheid, au Mozambique et en Angola par des formes de déstabilisation, en Grande-Bretagne, aux USA, en Europe par des attaques racistes (qui s’étendent aujourd’hui jusqu’aux seuils des portes des Africains) et par des systèmes voilés ou ouverts de discrimination, sont des conséquences des dommages et atrocités résultant de 400 ans du système esclavagiste international et de colonisation humainement insoutenable.

Il nous paraît donc nécessaire de situer la problématique des réparations dans le creuset de la Loi et de la Justice internationale, et non pas la présenter comme un appel dirigé à la Conscience du Monde Occidental, du monde Aryen. Si pour autant, il y a nombre d’organisations occidentales militant pour la justesse de la cause des réparations, cette tendance ne doit pas cacher l’inertie et l’antipathie des centres de pouvoir économique et politique du monde occidental lorsque cette question est soulevée (cf. Sommet de Durban).Cette attitude est compréhensible mais pas acceptable.

En effet, en participant à cet effort ce sont les bases idéologiques, politico stratégiques et économiques du pouvoir occidental qui deviennent laminées. Cette observation faite, on note que depuis 40 ans des progrès considérables ont été observés dans les charpentes des justices internationales pour octroyer des droits juridiques aux Peuples opprimés. Par exemple en Angleterre il y a 25 ans on pouvait lire sur des lieux publics de loisir des slogans du genre « Vacances-gens de couleur exclus ». Aujourd’hui dans ce pays un employeur qui discriminerait sur des bases raciales peut être poursuivi et condamné par un tribunal à payer des compensations.

Sur le plan international, on avait l’habitude en matière de politique étrangère de considérer l’Apartheid et ses exactions comme une affaire interne. Au fil des années des pressions et mobilisations des opinions publiques internationales ont fini par avoir raison de ce système odieux en l’érigeant en crime contre l’Humanité. C’est ainsi que furent décidées des sanctions internationales contre ce système. Ce n’est pas certainement pour dire que l’imposition concertée des sanctions légales implique automatiquement une justice. Cela n’a été le cas ni en Afrique du Sud aujourd’hui en proie à des revendications populaires pressantes, ni au Zimbabwe où les terres les plus fertiles sont aux mains des fermiers blancs.

Mais ces quelques exemples suffisent à montrer qu’une action intentée pour réclamer et la Justice et l’Egalité est un élément essentiel dans la lutte pour une juste et noble cause. Ainsi en est-il des réparations.

Tous les Mouvements et Associations qui militent autour de cette exigence évoquent trois facteurs pour la légitimité de leurs actions :

  1. Que le kidnapping de masse et l’esclavage des Africains ont été les entreprises criminelles les plus viles jamais enregistrées dans les anales de l’Histoire Humaine.
  2. Aucune compensation n’a été payée par les commanditaires c’est à dire Gouvernements et Esclavagistes.
  3. Les conséquences de cette infamie sont massives en termes d’enrichissement des descendants des anciens esclavagistes qui forment l’avant-garde de la bourgeoisie occidentale et en termes d’appauvrissement de l’Afrique et de ses descendants.

Malgré ces preuves indéniables certains s’acharnent à dire que tout ceci est vrai en théorie mais qu’il n’ y a pas de mécanisme opérationnel pour étudier ces réclamations ou de volonté de la part de l’Occident pour reconnaître leur légitimité, méconnaissant surement cette maxime latine : ubi jus, ibi remedium (là où il y a un droit, il doit y avoir un remède.)

Autant la nature déteste le vide, autant les hommes de loi doivent détester une injustice sans remède. En fait une fois que l’exigence et l’obligation des réparations seront entérinées par des principes légaux, les remèdes compensatoires suivront naturellement.

Etant donné que la question des réparations a plusieurs facettes, des juristes internationaux imaginatifs et créatifs ont été sollicités pour la mise sur pied d’un Tribunal international.

Exiger des réparations aujourd’hui n’est pas un nouveau. Pour mémoire nous rappelons que déjà en 1825, l’Etat Français avait rançonné 150 Millions de francs (soit15 milliards de dollars US en 2002) au Peuple d’HAÏTI (indépendant le 1er Janvier 1804) qui paye encore le prix de sa liberté. Il en est de même aux Antilles françaises où on a indemnisé les bourreaux appelés BEKE et non les victimes confinées à la survie quotidienne.

Les lois internationales n’ont jamais été statiques. Et dans bien des cas, de nouvelles structures ont été crées pour donner un effet à des principes reconnus. C’est ainsi que le tribunal de Nuremberg fut crée pour juger des crimes de guerre. Il est un exemple d’une adaptation de nouveaux comportements juridiques face à des contextes donnés. En l’occurrence dans le cas de Nuremberg il fallait pénaliser les atrocités du Nazisme. La Cour internationale de justice qui sert aujourd’hui à régler les différends frontaliers n’existait pas au début du siècle. Pour démontrer la nécessité de la mise en place d’une instance juridique internationale pour les réparations, nous vous soumettons sept propositions issues de la  Charte de Nuremberg :

  1. L’esclavage des Africains et ses formes voilées restent un crime contre l’Humanité comme nous le rappelle la Charte du tribunal de Nuremberg qui définit les crimes contre l’humanité comme suit :

a) meurtre
b)
extermination
c)
esclavage
d)
déportation
e)
autres actes inhumains commis contre toute population civile.., en violation ou pas des lois domestiques du pays ainsi agressé.

Cette charte a donné naissance à une juridiction spéciale qui traite des questions suivantes : le planning d’actes criminels, les réparations, les techniques de guerres, les crimes de guerre incluant meurtres mauvais traitement, les déportations aux fins de travail d’esclave ?

Il est connu que la Charte de Nuremberg n’a pas crée de nouvelles lois mais a codifié les concepts de criminalité internationale en usage au cours des siècles précédents.

Ainsi le Pr CONNELL de l’International Law for Students a pu écrire : « le tribunal considère des actes répréhensibles dirigés contre des populations civiles et qui offensent la conscience de l’humanité comme des crimes au regard des lois internationales ».

En 1948, les Nations Unies ont édicté une Convention de la prévention et de la punition des crimes de génocides qui a été ratifiée par la plupart des pays. Le préambule de cette convention reconnaissait que « le génocide est un crime contre les lois internationale » et qu’à toutes les périodes de l’histoire, le génocide a infligé de grosses pertes à l’humanité.

Pour le cas qui nous préoccupe, les historiens et autres experts de bonne foi peuvent montrer sans difficultés majeures comment l’invasion de l’Afrique, la capture en masse de ses forces vives, les horreurs du passage du Milieu, l’extermination de sa Culture et de ses langues en somme la négation de l’être Noir, constituent une violation de toutes les lois internationales. L’argument selon lequel de tels crimes étaient légaux dans les juridictions européennes de l’époque est simplement irrecevable. Les Européens ne constituaient hier ni aujourd’hui d’ailleurs toute l’Humanité et la conscience de toute humanité responsable se doit d’être outragée par ces 400 ans de souffrance collective.

Le droit aux réparations est bel et bien reconnu par la justice internationale. Il a été défini par la Cour permanente de justice internationale en ces termes : « les réparations, doivent autant que possible effacer toutes les conséquences d’un acte illégal et rétablir la situation qui en toute probabilité aurait existé si cet acte n’avait pas été commis, la restitution en nature ou si cela n’est pas possible, le paiement d’une somme correspondante à la valeur de la restitution en nature, des dommages et intérêts pour les pertes non couvertes ni par la restitution en nature ni par le paiement des sommes ». Tels sont les principes qui serviraient à déterminer la facture des compensations dues lorsque des actes contraires à l’esprit des lois ont été commis.

Le Professeur SCWARREMBERG dans son ouvrage magistral sur les lois internationales écrit ceci : « Les institutions judiciaires internationales ont progressivement joint leurs efforts pour formuler les rôles qu’une commission traitant des atteintes notoires à des populations civiles doit avoir pour exigence des réparations ».

En dehors du renversement du paradigme des réparations avec l’exemple français en Haïti et aux Antilles françaises, il y a effectivement des précédents pour le versement des sommes aux victimes. En 1952 la République Fédérale d’Allemagne signa un accord avec l’Etat Hébreux pour lui verser 222 millions de dollars. En1990, l’Autriche paya 25 millions de dollars pour les survivants de l’Holocauste juif. Le Japon de même a payé à la Corée du Sud des sommes colossales pour des actes commis pendant la période d’invasion et d’occupation.

Et récemment le Conseil de Sécurité des Nations Unies a voté une résolution s’appuyant sur ces lois internationales exigeant à l’Irak de payer des réparations au Koweït.

En dehors de ces exemples on peut évoquer aussi une seconde catégorie de réparation qui est forte de signification. Elle est relative aux réparations faites par un Etat reconnaissant ses propres responsabilités à l’intérieur de ses propres frontières sur un peuple : C’est le cas du gouvernement australien sur les noirs Aborigènes.

En 1998, le Congrès Américain vote l’acte des libertés civiles qui permet un dédommagement aux Japonais citoyens américains ayant subi des actes de discrimination notoire pendant la seconde guerre mondiale (raison :internement) avec à la clef : 20 000 dollars par ayant droit.

Au Canada et en Australie des étapes supplémentaires ont été franchies en faveur des Peuples indigènes pour la reconnaissance du droit de réoccupation des terres dont ils avaient été dépossédées.

Ce tour d’horizon prouve donc qu’il ne peut avoir d’obstacle légal à la réclamation des réparations ; l’esclavage étant qualifié de crime contre l’Humanité au moment où l’on parle d’impunité zéro. La nature et la forme de ces réparations sont intiment liées aux crimes commis. Malgré l’écoulement du temps et la falsification de l’histoire, les conséquences de ces crimes se perpétuent sur les descendants des victimes disséminées à travers le monde participant ainsi à la nouvelle configuration de la Planète. Dans de tels cas des dispositions ayant obligation de remèdes sont prévues par les lois internationales même si la réclamation  n’est pas concomitante aux faits.

Comme nous l’avons noté auparavant, bien que l’Etat d’Israël n’existait pas constitutionnellement au moment des exactions nazies, c’est bien Israël qui a exigé de l’Allemagne des réparations .Donc partant de ce même principe nous ne voyons pas pourquoi cela ne serait pas le cas du peuple noir converti aujourd’hui à un modèle de pauvreté appelé mondialisation et à une économie de périphérie (Samir Amin) qui sont autant d’atteintes à la dignité humaine résultant directement de méfaits de l’esclavat :c’est à dire un processus de génération du mode de production esclavagiste précurseur du système capitaliste.

En Amérique, en Europe comme en Afrique l’Esclavat a donné naissance à la pauvreté, à l’expropriation, à l’effondrement des cultures et des langues, au brouillage des repères et à « l’inculcation » du sentiment d’infériorité chez le Noir mais aussi à l’endoctrinement du Blanc.

Dans le cadre de la juridiction internationale, le Colonialisme constitue aussi un crime car étant une usurpation forcée des droits à la souveraineté des peuples colonisés. Après les indépendances, les chaînes du néocolonialisme continuent à entraver la souveraineté politique, économique, médiatique et culturelle des pays Africains. C’est pourquoi il est aisé de comprendre l’hésitation des descendants des coupables à confesser le pardon et à se retrouver autour d’une même table avec les victimes pour conjurer ce sort. Cependant malgré cette hésitation, ces moments restent pour nous des moments solennels pour que la Communauté noire prenne conscience de la nécessité de s’organiser pour matérialiser ses réparations.

CONCLUSION

Ces réparations doivent être faites au nom de tous les Africains d’Afrique et de la Diaspora pour tisser ce lien volontairement coupé. Ce travail incombe à l’humanité toute entière car en effaçant cette partie de notre Histoire, nous courons le risque de nous éloigner chaque jour du chemin qui conduit vers la Fraternité Universelle. Mais si nous gagnons le pari des réparations pour nous réparer, nous garantissons un meilleur Avenir pour les générations futures.

Robert CABOU, Association KEMIT

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